Ecrit par Claire Lommé
Voici le résumé d’un projet « Regards de géomètre » qui a abouti, en avril 2022, avec la venue de l’artiste François Abélanet. Ce projet, filé depuis la rentrée de septembre, a été passionnant, foisonnant et productif. Il nous a permis de faire des maths, et pas seulement.
Le projet « Anamorphoses » a commencé d’émerger pour moi l’année dernière ; je voulais m’engager dans Maths en Scène, participer au projet Regards de géomètre. Et là, le covid. Alors j’ai accepté d’abandonner puisque les conditions ne permettaient pas d’aller au bout, et j’ai patienté.
Pendant les vacances d’été, j’ai commencé à fureter sérieusement, pour me trouver un thème. J’avais décidé de le définir moi-même : l’année précédente, laisser le choix aux élèves avait été peu productif. Décider me permettait aussi de choisir un thème qui me porte : pour emmener les élèves, il faut une énergie authentique, de l’allant, de l’enthousiasme. Avec ma fille, nous avons visité des expositions, comme souvent en vacances ; beaucoup d’expositions. Deux m’ont fourni des idées de projets que j’avais vraiment envie de réaliser : l’œuvre π-piquant de François Morellet (après un détour à Pompidou), et les illusions en général (après une visite au Musée des illusions).
Pi piquant numéro 3, 1988, François Morellet.
Zut, deux idées. Comment faire ? Cette année, j’ai des sixièmes et des cinquièmes. J’aurais pu scinder les projets par niveau ; mais non, je tenais à un aspect complètement collectif.
Alors finalement, j’ai décidé de conserver les deux projets. Les illusions se sont précisées en anamorphoses, comme projet phare, et π-piquant est le projet bonus.
J’ai travaillé pour pouvoir démarrer dès la rentrée : collecter des éléments de culture, découvrir des artistes, préparer des supports pédagogiques (voir support joint), toujours mettre en lien avec les maths, adapter ma programmation, tisser les projets au fil de l’année, poser des jalons, rendre possible. Maths en scène accompagne tout au long de l’année : c’est l’association qui trouve les intervenants (un intervenant scientifique, un intervenant artistique), finance leur intervention, met à disposition un lieu d’exposition et des animations pour la fin de l’année scolaire. Avec l’appui bienveillant et compétent de la coordinatrice de Normandie, Nadine Amossé, nous avons été accompagnés par des professionnels fantastiques, comme Nathalie Sayac ou François Abélanet.
François Abélanet est arrivé la veille de notre premier jour en classe avec lui. Dès son arrivée, nous nous sommes mis au travail. Je n’avais alors pas encore bien mesuré l’intensité des deux jours à venir : des kilomètres de marche dans le collège, des kilogrammes transportés ici et là, des merveilles à venir, des élèves vraiment formidables. Heureusement, dans cette entreprise, l’administration, l’intendance et la vie scolaire de mon collège me soutenaient ; Marie Bayard-Hamdoun, enseignante d’arts plastiques, Laura Arevalo, qui me suit en classe, Marjorie, toujours là au bon moment et prête à donner un coup de main et même Marion, une autre étudiante venue en renfort, ont rendu tout cela possible. Et Olivier et Seb, qui ont pourvu à nos besoins de marqueurs, d’escabeau, ont baladé 200kg de bâche gracieusement offerte et livrée au collège ! par la société BS2I à Honfleur.
Et après ? Après, des réalisations extraordinaires, décidées et réalisées par les élèves, grâce à des dispositifs inventés par François Abélanet rien que pour mes élèves : des machines à anamorphoses en même temps ingénieuses et pédagogiques, produits de cogitations fructueuses, à base de « lasers à chats » (j’ignorais que ces instruments existaient…), de perles en bois et plexiglas. Le principe est simple, mais la réalisation géniale : on place le dessin à anamorphoser contre le plexiglas, et un laser mobile vient indiquer sur le support où tracer.
Difficile de tout raconter : il y a trop à dire et je suis encore étourdie de ces journées si denses, suivies de soirées de travail et de mises en place bien matinales. Si je devais retenir deux points saillants, à chaud, ils seraient les suivants : d’une part, les élèves ont toujours fait des liens avec les maths. C’était facile, parce que j’avais assez bien anticipé (nous avions analysé au filtre des mathématiques les œuvres de Varini, Rousse, Zinn, Boucq, Ok Go, Holbein, des jeux vidéo…), et surtout parce que François a été très mathématique dans son approche : lors de la première rencontre avec les élèves, il a posé les bases et donné les consignes. J’ai noté ses mots : segment, parallèle, projection, distance, sécante, similitude, alignement, perpendiculaire, intersection, droite, cercle, perspective, dimensions… De quoi alimenter nos déjeuners et dîners, car parfois nous n’étions pas d’accord sur l’usage de certains de ces mots. Alors nous avons échangé, des géométries non euclidiennes aux éléments d’Euclide, de questions de 3D à la différence entre solide et volume…
L’intervention de François Abélanet en classe, pour préparer la réalisation de nos anamorphoses
D’autre part, je m’attendais à devoir veiller à l’investissement des élèves comme à du lait sur le feu. Hé bien non. Tout s’est fait très naturellement, et chacun est allé par-ci, par-là, dans le respect des consignes (assez cadrées, et anticipées), mais avec de la souplesse. Rarement nous avons dû recadrer l’activité, et jamais les comportements. Le luxe !
Finalement, les élèves ont réalisé deux anamorphoses géantes, sur des bâches, et cinq anamorphoses sur des lieux du collège, dans la salle d’arts plastique et une salle de maths.
L’anamorphose-cube, dans un coin de la classe, sur laquelle les élèves se sont succédés, pratiquement finalisée en une journée :
Ce que j’oublie, tout de même, c’est la joie. Plusieurs fois, soutenue par l’aide active et rigoureuse de mes collègues, j’ai pu prendre du recul, regarder, écouter. Ce que j’ai ressenti m’a regonflée, moi qui ai eu ce mois-ci des doutes sur mon métier (pour la première fois de ma carrière), à cause du mépris qui émane de mon employeur au niveau national. Là, j’étais tellement à ma place : faire grandir, ouvrir des portes, écouter, permettre en guidant.
Les anamorphoses géantes, réalisées en une journée sur de grandes bâches :
L’anamorphose π-piquant, qui fait le lien entre nos deux projets Regards de géomètre :
Un triangle de Penrose, qui a donné bien du mal aux différents groupes qui l’ont travaillé, pour des raisons de vision-point, alors qu’une vision-ligne permet de déceler des alignements utiles ; ces erreurs nous ont permis de faire encore plus de mathématiques, en comprenant l’erreur et en trouvant les moyens de surmonter les obstacles :
Cette activité, déployée sur deux jours de réalisation, a donné lieu à une proposition d’atelier aux Journées Nationales de l’APMEP, en octobre 2022 à Jonzac.
Des photos, des vidéos, ici, là et encore là. Et ici et là, aussi.