Hitomezashi

Rédigé par Arnaud Chéritat et Jean-Marc Orozco

Le hitomezashi en est une forme particulière de broderie traditionnelle japonaise que nous allons présenter.

créatrice Satomi Sakuma  https://www.instagram.com/sashikoya/

Grâce à une aiguille, on fait passer le fil à travers le tissu, alternativement dessus et dessous. Quand l’aiguille traverse le tissu on dit qu’on fait un piqué. La particularité de l’hitomezashi est que le fil ne change pas de direction : il court tout droit le long du tissu. D’autre part, entre deux piqués, il y a toujours la même distance.

Une autre particularité de l’hitomezashi, c’est que les fils sont disposés de la même façon que les traits formant le quadrillage d’une feuille de papier.

Il peut paraître surprenant qu’avec de telles conditions, on puisse faire quoi que ce soit d’intéressant… Il se trouve que c’est pourtant le cas. La personne effectuant la broderie a le choix, pour chaque fil de commencer son parcours soit au-dessus, soit en dessous du tissu, ce que l’on code parfois avec un 0 ou un 1 (voir plus loin).

L’influence de ce choix a des conséquences visuelles fortes, que nous allons constater.

Comment se fait-il qu’une simple inversion de fil bouleverse autant le dessin ? C’est parce que l’œil humain ne se contente pas d’être un appareil photographique. L’image est convertie en impulsions électriques qui sont traitées par une partie du cerveau. La conscience accède à une interprétation de l’image plutôt qu’à l’image elle-même. En particulier, il semble que ce système suive les contours et identifie les zones que ces contours délimitent. Ici les bouts de fils situés sur le dessus du tissu tracent des chemins qui tournent à gauche ou à droite aux points d’intersection de la grille. Inverser un fil modifie ces chemins, et les zones qu’ils délimitent.

C’est bien beau, mais si on ne dispose pas de tissu, ou de fil, ou d’aiguilles ? Ou encore, du temps, ou du talent, pour broder ? On peut substituer à cela crayon à papier, règle et feuille de papier. C’est Annie Perkins qui propose sur Twitter #MathArtChalllenge cette version du hitomezashi inspirée par Katherine Seaton.

Pour commencer, il faut tracer un rectangle puis coder chaque ligne verticale et horizontale par 1 ou 0, comme indiqué précédemment :

  • Si la ligne est codée 0 : tracer les intervalles pairs.
  • Si la ligne est codée 1 : tracer les intervalles impairs.

Ensuite, on colorie

Ce genre de coloriage suscite des questions mathématiques.

Par exemple : De combien de couleurs ai-je besoin pour pouvoir colorier le dessin de sorte que deux zones qui se touchent le long d’un segment ne soient jamais de la même couleur ? Le théorème des quatre couleurs garantit qu’on peut toujours avec 4 (ce théorème s’applique à beaucoup d’autres sortes de coloriages : par exemple pour les pays). Ici, il est bien possible que 2 suffisent.

Ou encore : Quelles formes peut-on obtenir ? Combien de chemins, de zones, sont modifiées par l’inversion d’une ligne ou d’une colonne ? Que donnent les suites de 0 et de 1 périodiques ? aléatoires ? Certaines de ces questions sont difficiles. C’est même un sujet de recherche scientifique actif. Par exemple l’article suivant a été déposé cette année sur ce sujet (en anglais) : Loops and Regions in Hitomezashi Patterns sur            https://arxiv.org/abs/2201.03461

Effectuons une première observation : de chaque intersection de la grille, par un seul segment horizontal et un seul segment vertical. Cela démontre :

  • que les lignes tracent des chemins qui ne bifurquent pas ;
  • que chaque ligne est soit refermée sur elle-même, soit va du bord de la feuille au bord de la feuille ;
  • qu’aucune zone ne peut toucher une ligne sur ses deux côtés.

Tiens, le 3e point est-il si évident ? Si vous deviez le démontrer formellement, pas sûr.

Pour les plus curieux

Une vidéo de la série Numberphile : https://www.youtube.com/watch?v=JbfhzlMk2eY

Un article : A two-dimensional introduction to sashiko de Carol Hayes et Katherine Seaton La Trobe